Réveillon sanglant au Nigéria.

Qu’est-ce qui a pu conduire au massacre de masse lors du réveillon au Nigeria ?

Avec près de 220 millions d’habitants, le Nigeria, situé en Afrique de l’Ouest, est le pays le plus peuplé du continent et le sixième pays du monde par son nombre d’habitants. L’État de Plateau, qui traverse le pays du nord-ouest au sud-est, est un espace de transhumance du bétail, marqué par les querelles permanentes entre les cultivateurs et les éleveurs à cause du passage des troupeaux dans les champs. La prolifération des armes automatiques a aggravé les conflits qui ont par ailleurs pris une dangereuse tournure communautaire.

Le Nigéria vient ainsi de subir un cruel « Noël noir ». En effet, dans la nuit du 24 décembre, une trentaine de villages de l’État de Plateau, situé dans le centre du pays, a été attaquée par des groupes armés. La tuerie a fait au moins 198 morts et plus de 500 blessés.

L’attaque, commencée dans la soirée, a duré toute la nuit. Les assaillants, dont l’identité reste floue, étaient divisés en plusieurs groupes, qui avançaient d’un village à l’autre. Beaucoup de femmes et d’enfants ont été tués. Certains à la machette. Les maisons, les bâtiments, les véhicules ont été incendiés. Des villageois sont portés disparus, et des blessés graves pourraient ne pas survivre. Des milliers de personnes ont été déplacées. Ce n’est pas la première fois que des villages de cultivateurs sont attaqués, mais l’ampleur du massacre est inédite.

Personne n’explique officiellement ce qui a déclenché la tuerie car aucune justification n’a été donnée par les assaillants ou les autorités. Aucun incident ou provocation n’avait d’ailleurs été relevé dans les jours qui ont précédé l’attaque.

Néanmoins, selon Nnamdi Obasi, qui travaille au Nigeria à l’International Crisis Group (une organisation non-gouvernementale visant à prévenir et à éviter les conflits meurtriers), cette attaque est perçue par les habitants des villages comme une campagne de déplacement forcé. C’est pourquoi cet événement a aussi un impact national. En effet, l’État de Plateau est une zone d’agriculture intensive grâce à son climat humide, son sol fertile, et l’abondance de ses ressources en eau. De ce fait, l’accès à la terre est disputé par les éleveurs et les cultivateurs.

Par ailleurs, l’État de Plateau appartient à la Middle Belt, la ligne de rencontre entre le Nord musulman et le Sud généralement chrétien. Les deux communautés se font régulièrement subir des tensions. Dans cette zone existe aussi une violente opposition entre les communautés dites « indigènes », qui se déclarent propriétaires de la terre, et les migrants, décrits comme des « colons », mais dont certains sont en vérité installés depuis plusieurs générations. Une grande partie de ces « colons », sans terre, sont des Haoussas ou des Peuls (qui représentent 90% des bergers) dont les aïeux sont venus du nord lointain.

La rivalité mutuelle entre éleveurs et cultivateurs pour l’accès aux ressources augmente. En vérité, ces types de tueries se sont accentués à cause de l’absence de sanctions (presque inexistantes après les attaques), de la multiplication des armes à feu dans le pays et de l’insécurité généralisée qui a conduit l’armée et les agences de sécurité à disperser leurs forces dans l’ensemble du Nigeria.

Tinubu, président actuel de la république fédérale du Nigeria, avait affirmé que la lutte contre l’insécurité serait sa priorité. Mais sept mois après son élection, peu de choses ont avancé. Le Président n’a pas annoncé de stratégie détaillée. Il ne s’est pas non plus attaqué aux sources de l’insécurité.

A cause de son origine peule, l’ancien président Buhari était jugé complaisant avec les groupes armés peuls. Le nouveau chef de l’État semblait plus dur dans sa lutte contre l’insécurité. Mais, devant la lenteur de la réaction des forces armées, les habitants parlent de « complicité » (sans toutefois aucune preuve). Ceci pourrait contribuer au développement de groupes d’autodéfense villageois, comme c’est déjà le cas dans d’autres régions.

Cette attaque planifiée, coordonnée et massive, n’est pas une querelle qui se serait dégradée pour une histoire de dégâts commis par des vaches dans les champs. Pourtant, selon Nnamdi Obasi, il ne s’agit pas non plus d’une guerre de religion. Que la tuerie se soit déroulée le jour de Noël fait dire à certains que c’était pour détruire des communautés chrétiennes. Mais les éleveurs de l’État de Plateau ne semblent pas avoir d’agenda islamiste, et encore moins jihadiste.

Sources :

Libération, le 29 décembre 2023

https://www.liberation.fr/international/afrique/massacre-du-reveillon-au-nigeria-les-divisions-identitaires-et-la-rivalite-eleveurs-cultivateurs-salimentent-mutuellement-20231229_5Y3J6DGAKFEE7H66FO3YOR2WTE/?redirected=1

Lucien Louet

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