Tout commence en novembre 2016, à la suite de la diffusion sur les réseaux sociaux d’une théorie conspirationniste : « Le Pizzagate ». Cette théorie prétend que John Podesta, l’ancien directeur de campagne d’Hillary Clinton, serait au cœur d’un réseau pédophile qui sévirait notamment dans une pizzeria réputée de Washington. Des emails privés, révélés par le site Wikileaks, font apparaitre les mots « pizza » et « pasta » répétés à plusieurs reprises. Les complotistes en déduiront qu’il s’agit de messages codés :« pizza » pour filles, « pasta » pour garçons. Pour les extrémistes, il s’agirait de preuves de l’existence du trafic d’enfants. L’un d’entre eux, Edgar Maddison Welch fait alors le trajet depuis la Caroline du Nord jusqu’à la pizzeria « Comet Ping Pong » armé d’un fusil d’assaut où il menacera des employés pour pouvoir inspecter l’endroit. En l’occurrence, il ne trouva aucune preuve d’enfants enfermés ou d’un quelconque trafic. Il se rend alors à la police et explique avoir voulu « mener sa propre enquête ». Il sera condamné à 4 années d’emprisonnement. Les complotistes, persuadés de la réalité de ce réseau pédophile, déclareront par la suite qu’Edgar Maddison Welch n’était qu’un acteur payé pour enterrer la polémique.
Plus d’un an après les évènements du « Comet Ping Pong », la théorie complotiste continue d’alimenter les fantasmes. Dans ce contexte, un internaute qui a pour pseudonyme « Q »(la lettre « Q » désignant l’habilitation secret défense aux Etats-Unis), lance le 28 octobre 2017 une discussion sur le forum 4chan intitulée « The calmbefore the storm » (le calme avant la tempête), titre faisant référence à une déclaration du président Donald Trump aux journalistes. Il s’agit en réalité d’un mouvement complotiste et anti-démocratique déterminé à maintenir Trump, « sauveur de l’Amérique », au pouvoir face à des agents du « Deep state » (l’Etat profond), de pédophiles voir de satanistes. Cette théorie tend à discréditer les élus et les médias officiels, tous corrompus, et prétend que des forces supérieures régentent le monde.
« Q » se targue d’évoluer dans les plus hautes sphères du gouvernement américain et entend révéler des informations secrètes. Il alimente la discussion sur les réseaux avec des questions évasives (appelées « drop ») incitant les internautes à identifier des liens occultes et des complots. L’une des théories centrales de « Q » tend à prouver que la « tempête » annoncée est en réalité la dissolution d’une organisation criminelle internationale de trafics d’enfants et de pédophilie dans laquelle seraient impliqués Barack Obama, Hillary Clinton, des stars hollywoodiennes… Une communauté se forme rapidement autour de cet internaute et se fait appeler « QAnon » (contraction de « Q » et de Anon : abréviation de Anonymous). Ces derniers débattent et analysent autour d’indices disséminés par « Q » diffusant des théories du complot toujours plus farfelues. En quelques mois, la communauté QAnon fait de plus en plus d’adeptes qui relayent ces théories à travers divers réseaux sociaux. Au cours de l’été 2018, lors des élections de mi-mandat américaines, les QAnon n’hésitent plus à se montrer publiquement aux meetings de leur héros, Donald Trump, arborant des tee-shirts à son effigie, sur lesquelles sont écrits « We are Q », des pancartes avec la lettre Q ou encore l’inscription « Wher ewe go one, we go all » qui sont les signes de ralliement de la communauté QAnon.
Le président Trump n’a jamais pris officiellement position sur ce sujet et ne le condamne pas, considérant que ce mouvement lui est favorable. Pourtant, le mouvement ne cesse de s’accroitre et face à ces théories complotistes, des voix s’élèvent, notamment celle du FBI, qui qualifie le mouvement comme dangereux et représentant un risque de violence, certains des membres étant mêlés à des altercations avec la police, des violences et des tentatives d’enlèvements. Les partisans de QAnon ne cessent d’augmenter, ils seraient plusieurs millions dans le monde.
A l’approche des prochaines élections présidentielles américaines de novembre 2020, Facebook a réagi en supprimant des centaines de pages, des groupes de discussion…Le 6 octobre dernier, toute référence à QAnon a été bannie de la plateforme, ce qui est une mesure rarissime prise en catastrophe dans la perspective de la campagne présidentielle américaine. Dans le contexte de pandémie, le mouvement prônait une théorie alambiquée mêlant pédophilie satanisme et élus qui a même convaincu des candidats républicains au Congrès américain.

Au fil des années, la théorie est devenue plus globale et englobe d’autres sujets conspirationnistes comme le refus du port du masque ou les vaccins. Par exemple les mouvements protestataires extrémistes allemands ont manifesté contre le port du masque en arborant des pancartes au sigle de « Q ». QAnon a également diffusé des rumeurs concernant la pandémie du Covid qui serait un complot des élites destinés à éliminer des milliers de personnes pauvres.
Ce groupe conspirationniste pourrait être qualifié de « douxdingues » s’il ne représentait pas un réel danger pour les démocraties qui reposent sur la confiance envers les institutions et entre les citoyens.
Dans un pays comme les Etats-Unis, où les citoyens sont armés, le risque de réactions violentes si Trump échoue aux élections présidentielles est réel. QAnon et le président Trump pourraient arguer de fraudes électorales pour justifier cet échec.
Il faudrait une autorité indépendante qui supervise et surveille davantage l’Internet et tout ce qu’il comporte de rumeurs complotistes. Surtout quand les rumeurs proviennent du plus haut niveau de l’Etat et qu’elles sont alimentées par des puissances étrangères telles que la Russie, la Chine ou l’Iran qui cherchent la déstabilisation par la désinformation et veulent semer le trouble et créer le chaos dans nos régimes libéraux. Mais comment concilier surveillance et liberté d’expression ?
Sources :
« Le tour du monde des idées », France Culture
« La fabrique du mensonge – les fake news au pouvoir » France 5
« QAnons : aux racines de la théorie conspirationniste qui contamine l’Amérique » Le Monde
Mathilde Hemery