S’informer en temps de guerre.
Comment les journalistes du Nouvel Obs obtiennent-ils des informations en temps de guerre ?
C’est compliqué car en temps de guerre, les informations sont contraintes et souvent, la propagande prend le pas sur l’information, en tout cas du côté des gouvernants.
« La propagande, c’est un gouvernement qui va dire des choses allant dans son sens, rendre la réalité la meilleure possible même si ça ne se passe pas comme ça sur le terrain ». Par exemple les Russes, pendant la guerre, avant qu’ils ne reconnaissent que ça ne se passait pas si bien que ça pour eux, ils ont longtemps dit que la guerre était formidable, sans même employer le mot guerre mais « opération spéciale », et qu’ils allaient bientôt renverser le gouvernement de Kiev et rentrer chez eux. Il s’est passé de longs mois avant que les Russes n’admettent que ça se passait mal, mois pendant lesquels des citoyens russes regardaient la télé en Russie et à qui le gouvernement disait que la guerre se passait super bien. “Ça c’est de la propagande. »
Mais, en temps de guerre, souvent, les journalistes n’ont que cette voie là. Heureusement ils ne sont pas qu’ à Moscou, à écouter ce que dit Vladimir Poutine, il y a aussi les faits, et ce qui se passe sur le terrain.
Comment Le Nouvel Obs assure-t-il la sécurité des journalistes sur le terrain ?
Dans le travail de journaliste, il est important d’y aller si possible et s’il y a les moyens nécessaires disponibles et les autorisations pour y aller, “on ne va pas sur un terrain comme l’Ukraine si facilement”. Il faut des moyens techniques et physiques importants qui nécessitent de grosses dépenses (gilet par balle, casque, assurances pour évacuer la personne rapidement en cas de problème,….). Il faut que de nombreuses conditions soient respectées pour que la décision d’envoyer quelqu’un soit prise, mais il faut avant tout que la personne soit volontaire. Aucune rédaction ne force une personne à se rendre sur un lieu même si elle le connaît parfaitement “ce sont des journalistes qui ont cette particularité, ils ont l’envie et le courage d’y aller” de plus ce n’est pas quelque chose de neutre, ça a des répercussion sur eux. Ce sont des endroits où on peut être témoin de choses difficiles (des morts, des gens blessés, traumatisés..) et où on risque sa vie “on peut mourir, il y a des journalistes qui meurent régulièrement”. Même s’ils exercent leur métier de journaliste, qu’ils sont protégés et que c’est leur mission d’aller sur le terrain pour récupérer des informations, pour ensuite en faire un article ou un reportage. Ce sont des pensées qui protègent psychologiquement mais un journaliste reste un humain. C’est un risque de pris sur sa vie, “quand il reviendra, il ne sera peut-être pas bien dans sa tête”. Des journalistes sont donc envoyés sur le terrain seulement s’ils l’ont déjà fait, qu’ils connaissent les « ficelles » et “savent sentir quand le danger devient trop important”. Ils ont une équipe autour d’eux, la rédaction paye des “fixeurs”
( des citoyens du pays, journalistes, interprètes ou simplement des gens qui connaissent bien le pays) qui vont accompagner le journaliste, lui “ouvrir les portes”. Il est toujours mieux, peu importe le journal pour lequel on travaille d’avoir avec soi des gens qui connaissent la langue “ les gens dans des endroit reculés ne parlent pas anglais”, grâce aux fixeurs, les gens accordent aussi leur confiance plus facilement. L’ensemble coûte beaucoup d’argent, mais c’est ce qu’une rédaction met en place pour envoyer un reporter de guerre.
Êtes-vous inquiète pour la sécurité des journalistes sur le terrain ?
Quand la personne est sur place, la rédaction a beaucoup de relations avec elle, enfin ça dépend des journalistes, « certains préfèrent être un peu tranquilles, et d’autres acceptent de jouer le jeu et de dialoguer avec nous ». C’est aussi important de communiquer car ils se déplacent beaucoup et il est important de savoir où ils sont. En Ukraine, L’Obs a envoyé 4-5 journalistes et 6-7 reportages ont été réalisés depuis le début de la guerre, surtout au début quand ça a éclaté. Il y avait un journaliste sur place dans le sud de l’Ukraine qui a suivi les ukrainiens pendant qu’ils quittaient le pays. Ça a duré 5-6 jours et c’était vraiment dangereux, « on attendait fébrilement des nouvelles le soir en se demandant comment il nous recontacterait ». De plus, les déplacements étaient compliqués car il n’y avait plus d’essence et se déplacer était un problème énorme, même simplement pour mettre de l’essence dans sa voiture.
Il est compliqué d’être dans un pays en guerre, où il n’y a plus d’avions, très peu de trains et ceux qu’ils y a sont pris d’assaut, où vous êtes à 3000km de la frontière, “quand on est reporter de guerre on se retrouve dans la même situation que les gens dans la guerre, on est emporté par la situation”. Quand ce reporter est sorti de l’Ukraine, la rédaction de L’Obs était soulagée et a ensuite envoyé des reporters dans des situations plus classiques, dans un périmètre précis en sachant ce qu’ils font.
Un autre exemple, moins classique, qui était en Afghanistan le 15 août 2021, lorsque les talibans ont repris le pouvoir. Il n’y avait personne sur place a ce moment-là, la reporter de L’Obs devait partir mais elle n’a pas pu prendre l’avion, donc il a fallu attendre trois semaines-un mois pour envoyer la reporter, Sara Daniel. Elle est partie en avion jusqu’en Ouzbékistan, elle a pris un autre avion là-bas pour passer la frontière avec l’Afghanistan et elle est arrivée par la route à Kaboul. Le voyage d’aller s’est plutôt bien passé, elle est restée une une semaine – 10 jours à Kaboul pour faire son reportage. Cependant, en repartant il n’y avait plus d’avion pour sortir d’Afghanistan donc elle s’est retrouvée pendant 3 jours dans sa voiture avec son interprète et son fixeur, elle ne pouvait que prier que tout se passe bien, qu’elle ne se fasse pas arrêter, car il pouvait se passer n’importe quoi « ces jours-là on était stressé, on essayait de prendre de ses nouvelles comme on le pouvait, c’est aussi ça être reporter de guerre, c’est prendre des vrais risques ». Pour les rédactions derrière, c’est une grosse responsabilité car s’il se passe quelque chose, le reportage aura quand même été autorisé, parce qu’elles souhaitaient parler de l’Afghanistan à ce moment là.
Ce reportage avait énormément de valeur parce qu’elle était une des seules journalistes sur place. Le reportage est sorti un mois après le renversement du régime d’Afghanistan par les Talibans. La reporter, qui connaît très bien l’Afghanistan y étant allé plusieurs fois, est retournée là-bas en été 2022, pour faire une Une sur le sort des fillettes afghanes.
Ça fait partie du “droit de suite”, « on ne parle pas que de certains pays seulement au moment où c’est le plus chaud, on essaie de continuer à raconter ce qu’il s’y passe ».
L’Obs a aussi fait une Une sur l’Iran, car la révolution en cours est extrêmement importante et personne ne sait comment elle va tourner. L’Iran est un pays très violent et la répression peut casser aussi la dynamique de révolution. « Pour moi c’était très important de faire une Une sur l’Iran, c’est très symbolique ». En effet, l’Iran est un régime islamiste plus que rigoriste donc c’est important que 50 ans après la révolution islamique, il y ait un mouvement de révolution mené par des femmes et rejoint par des hommes, qui essayent de renverser ce régime.
“Notre travail, c’est de mettre ça à la Une en disant : regardez, c’est important”. C’est ça que les rédactions appellent les “arbitrages”, les choix qu’elles doivent faire. La réalité, ce n’est jamais : on va faire la guerre , et c’est ça qui s’impose. Quand la guerre a éclaté, pendant un mois L’Obs a fait 4 numéros spéciaux consécutifs, car « c’était un événement mondial qui allait changer la face du monde ». Régulièrement, L’Obs refait des numéros sur ce sujet, par exemple sur Poutine, un dictateur fascinant et dangereux.
Le magazine fait beaucoup d’explications sur lui, car “il a une partie de notre avenir dans les mains”. L’Obs a fait un numéro, « La bombe humaine », sur les risques nucléaires, et à l’époque de Mme Prieur, personne n’imaginait que ça pourrait arriver “nos prédécesseurs ont fait des erreurs et ont compris qu’il ne fallait plus y toucher” mais le risque nucléaire qui n’était plus censé exister est un risque qui est revenu au goût du jour. Il se pourrait qu’un jour Poutine utilise une bombe tactique nucléaire et tue des millions de personnes, chose qui serait complètement incroyable car c’est une arme interdite et inhumaine. “Le fait que quelqu’un du Kremlin puisse utiliser cette menace c’est stupéfiant ». Le travail des journalistes c’est mettre ce genre de choses sur le devant de la scène régulièrement pour que “chacun mesure le risque, réfléchisse et se mobilise”. Le travail des journalistes c’est d’éclairer le citoyens le plus possible.
Quelle est la part de l’objectivité des journalistes dans les informations transmises ?
Définir ce qu’est l’objectivité est difficile, il y a la réalité qui est multiple et qui peut être regardée de plusieurs côtés, et l’honnêteté du journaliste. Plus que de l’objectivité, Mme Prieur attend d’un journaliste de l’honnêteté mais aussi évidemment qu’il tende à la plus grande objectivité : “être toujours le plus près de faits, de la réalité”. Il faut que le journaliste soit honnête que si une information le dérange ou qu’elle n’est pas dans le sens qu’il veut, “il l’assume, il l’enquête”. Ou si le point de vue est personnel, qu’il puisse le dire clairement ou en tout cas que ce soit clair pour le lecteur. C’est le contrat de lecture entre les lecteurs et l’Obs. Les lecteurs connaissent la ligne éditoriale et c’est dans ça que se joue l’objectivité de l’Obs. “Ils ne cachent pas qui ils sont, ils doivent le dire franchement”. C’est seulement dans ces conditions que l’on peut arriver à un maximum d’objectivité. “Pour moi l’objectivité n’est pas forcément en contradiction avec la subjectivité », tout le monde a son point de vue et voit les choses d’une manière différente. On peut avoir globalement la même vision mais “on ne voit pas le réel de la même manière”, ce qui compte, c’est que les gens sachent où le journaliste se situe. “C’est important dans le débat public que chacun parle d’où il est”. Pour illustrer ses
propos, Mme Prieur prend donc l’exemple de Cyril Hanouna “il ne dit pas forcément ce qu’il pense et joue sur cette ambiguïté tout le temps”, il n’est jamais nul part, “il joue avec cette ambivalence constante, typique pour troubler le débat public” et c’est un gros problème de ne pas pouvoir savoir d’où il parle. Le principal dans l’objectivité c’est qu’ “on assume clairement de là où on est, ce qu’on dit, qui on est, que ce soit le plus transparent possible et surtout le plus honnête”. Il ne faut pas se créer des murs, exclure des pans de la réalité parce qu’ils nous dérangent.
ROUVRAIS Alba
PRIVAT DIAWARA Lucie