La fin d’une partition politique ?
Depuis des décennies, notre scène politique était constituée de deux composants, de deux atomes inséparables marqués par une opposition idéologique (aujourd’hui disparue) qui s’est vue à chaque second tour des présidentielles (ou presque). Mais il semblerait, et ce n’est qu’une hypothèse, que l’échéance à venir n’offre pas cette opposition. Nous observons avec attention que les deux partis qui étaient jusque-là rois de ces élections puissent devenir de simples figurants. Les deux partis s’effondrent ; Les Républicains et son candidat se détruisent avec le « Pénélopegate » pendant que le Parti Socialiste est encore au plus bas dans les sondages.
Après l’observation de ces deux problématiques, une question doit être, à mon sens, posée : comment en est-on arrivé là ?
Pour que vous compreniez toute la complexité de l’affaire, il serait nécessaire de développer et de présenter tous les points principaux de cette fin de règne. La fin d’un pouvoir séparé et partagé entre la droite et la gauche.
L’objectif de ce texte est d’expliquer ce qui compose les deux plus grands camps politiques. Et de répondre à de nombreuses questions : qu’est-ce que la droite ? Qu’est-ce que la gauche ? Pourquoi les deux camps, majoritaires pourtant, semblent-ils épuisés aujourd’hui ?
La droite : son origine, ses idées et son égarement.
A l’origine, le nom même de « droite » fait référence au placement des députés pendant la Révolution : celui qui était pour la mort du roi se positionnait à gauche du président de l’assemblée, et celui qui était contre l’exécution du monarque se plaçait à droite. C’est donc sur ce point que la première différence s’est faite.
Au cours du XIXème siècle (car c’est sous ce siècle que l’idéologie politique s’est formée avec insistance), la droite semble dominer le débat politique : nous assistons, en effet, à la naissance de trois courants qui forment l’origine, le noyau de la droite française. Ces trois mouvances exposent trois idées bien précises : tout d’abord, ce qui constitue presque le fondement de la droite traditionnelle, c’est le royalisme, le monarchisme : dans cette thématique, deux courants se construisent, l’orléanisme et le légitimisme. Ce dernier est la branche sans doute la plus conservatrice, car elle tient sur un principe simple : la monarchie absolue. Le catholicisme est bien entendue la religion d’Etat, le roi a bien sur tous les pouvoirs ; il n’y a que le Christ qui s’élève au-dessus du monarque. Ce royalisme acharné semble représenter la branche la plus conservatrice, la plus radicale de la droite ; et s’est illustré d’ailleurs, sans grand succès, par l’accession du Comte d’Artois sur le trône de France. Mais le légitimisme se met en opposition avec l’orléanisme ; à l’inverse ce courant expose une vision d’un pouvoir plus libérale, au niveau de l’économie et des mœurs (à une certaine échelle néanmoins). Les maîtres mots de cette mouvance sont : libéralisme, modération et bourgeoisie. L’orléanisme est issu du nom Orléans (une branche de la famille royale). Cela a une réelle signification car lorsque Louis-Philippe d’Orléans est appelé à gouverner la France, il intègre, au grand bonheur des libéraux, républicains et jacobins, les idéaux de la Révolution et de l’Empire (il se fait appeler « Roi des Français », accepte le drapeau tricolore…) mais, au grand malheur des légitimistes, dénature le rôle même du roi. C’est donc au cours de ce siècle que ces deux mouvements ne cesseront de s’affronter.
D’autre part, la droite française contient, en ses rangs, une racine profonde qui existe et perdure encore et encore : le bonapartisme. Né du nom de l’empereur Napoléon Ier, il est essentiellement construit sous le règne de son neveu : Louis Bonaparte, dit Napoléon III. Cette pensée politique présente plusieurs caractères : premièrement, le pouvoir de l’Etat est essentiel (surtout au niveau économique), le libéralisme à caractère modéré est inclus et l’avancée sociale est primordiale au beau fonctionnement de l’économie du pays. D’un autre point de vue, et sur une vision constitutionnelle et institutionnelle, le bonapartisme accepte et intègre les idées de 1789 et, oserais-je dire, utilise la démocratie. Si nous prenons l’exemple de Napoléon III : l’exercice du pouvoir est, dans un premier temps, autoritaire. Mais la légitimité populaire reste au centre de la politique de l’Empereur (les plébiscites ont été nombreux).
On retrouve aujourd’hui, quelques résidus de ces courants. Mais il en est ainsi ; la droite s’est modifiée, transformée, métamorphosée : le bonapartisme est resté très puissant au début de notre Vème République (Mitterrand aimait à dire que le général de Gaulle était bonapartiste). En effet, il semble, et avec assurance, que le vieux général présente tous les points pour être qualifier de tel. Mais le courant qui, à mon sens, a persisté, c’est l’orléanisme. Devenu le centre droit de la politique moderne, il se range dans la nouvelle droite, modérée, ouverte, tolérante.
Aujourd’hui, je ne sais plus où la droite est ; où se range-t-elle ; est-elle pro-européenne, eurosceptique ; est-elle libérale, ultra libérale ? C’est dans cette incompréhension latente et durable que les électeurs sont appelés à voter. Où est la droite ? Je ne sais pas, je ne sais plus. Elle parait perdue entre LR, Rassemblement Pour la France, Mouvement Pour la France, Debout la France, UDI et le MODEM. Entre tous ces partis, entre tous ces mouvements, lequel est gaulliste, lequel est libéral, lequel est souverainiste… Je me sens perdu, comme les millions d’électeurs je ne fais plus la différence. Car en effet, et c’est triste à dire, la droite s’est égarée ; il faut qu’elle se retrouve ; qu’elle retrouve sa nature première. Elle est même rejoint par la gauche, au centre, dans l’idéologie libérale ; mais nous reviendrons sur ce point.
La gauche, la déception d’un siècle.
Descendez, demandez, interrogez les gens : demandez-leur ce que veut dire la gauche ? La gauche, à l’inverse de la droite, repose sur des principes beaucoup plus républicains, beaucoup plus démocratiques. On résume généralement le mot gauche à la laïcité, l’égalité, la justice sociale, et d’autres expressions. Mais elle est plus complexe que cela ; plus contradictoire. Elle se mélange entre le libéralisme, le marxisme, le socialisme, l’anarchisme, le socialisme libertaire, le socialisme radical, le socialisme autoritaire… Mais si la gauche a pu exister, c’est grâce à ces trois mouvements de départ : le républicanisme, le jacobinisme et le libéralisme. Elle s’est également formée grâce à des penseurs, grâce à des personnages etc…
La gauche depuis trois siècles s’est constituée autour de trois grands atomes, formant une molécule compacte. A la grande différence de la droite, l’idéologie dite de gauche a su persister. Trois pensées qui se rejoignent sur un même point : la république a tout prix. Mais cette course perpétuelle qui n’a pour seul but un pouvoir républicain, offre une manière de gouverner différente pour chaque parti.
Le XIXème siècle connait une vague libérale. Les monarchies sont ainsi, soient balayées, soient transformées, modifiées. La France en paye le prix fort avec la monarchie de juillet. Les libéraux deviennent presque les maîtres de ce temps ; ils arrivent à se faire entendre, grâce notamment à de nombreux intellectuels, et grâce également aux combats de l’époque. Les libéraux se basent sur des principes simples : les libertés individuelles, le libéralisme économique et enfin la diminution du rôle de l’Etat. Le libéralisme se met dans une position très ambiguë ; il est à la fois l’ennemi du socialisme mais il est aussi son ami, il est le combattant du conservatisme mais est également son allié. Le libéralisme est la doctrine la plus malsaine et la plus contradictoire de notre temps. Elle se place au centre mais pactise avec la gauche et la droite. Les libéraux sont bien sur des démocrates, leur modèle le plus cher est celui d’un système parlementaire, c’est le règne de la dictature de la majorité comme l’expliquait Tocqueville. Les libéraux sont inclassables, ce sont les « marchandeurs » du pouvoir ; ils pactisent avec tous ; la Nation pour eux n’existe pas, la patrie n’est plus, le marché prend le dessus sur tout. Le rêve du libéralisme, et il s’est bientôt accompli, réside dans la fin de l’Etat.
Les jacobins, cette branche de la gauche, la plus radicale de toute, retient un principe qui se dresse en opposition avec le libéralisme : le pouvoir excessif de l’Etat. Les jacobins présentent une idée bien précise : une République autoritaire, qui assume son ordre, puis, surtout, le pouvoir doit être centralisé ; la République est à Paris. Cet autoritarisme assumé s’est vu à l’œuvre : il a donné les heures les plus sombres de la Révolution : la Terreur (1793-1794). Les massacres se multipliaient au nom d’un processus révolutionnaire ; toute cette barbarie dirigée par le comité de Salut public où l’on compte Robespierre (le chef), St Just, Collot d’Herbois, et tant d’autres. Pas de pitié pour les ennemis de la Révolution ! Dans cette période, les massacres, les pillages sont fréquents : les clercs, les nobles, les vestiges de la monarchie sont détruits, bafoués, violés soient par des Sans Culottes suivis par les Montagnards, soient par les mouvements populaires pris dans le feu de l’action, emportant avec eux des centaines et des milliers de mort. Sous la Terreur, l’anarchie (dans le sens de désordre) est reine, on laisse les tueries se propager sans les arrêter, et même, elles sont encouragées ; mais comme l’expliquait Platon : l’anarchie est liée à la Tyrannie (plus précisément, la démocratie mène à l’anarchie, et celle-ci conduit à la tyrannie), du fait que le pouvoir jacobin a combiné ces deux poisons, créant un mélange de non-droit et de barbarie légale ; tout le contraire de la pensée même de la Révolution s’est produit. De plus, ce processus ultra-révolutionnaire a donné le premier exemple du totalitarisme ; rappelons tout de même que cette période n’est qu’un avant-gout de la grande terreur stalinienne produite à la fin des années 1930. Mais cette idéologie semble s’être imposée dans la gauche, car cette culture jacobine est restée ; l’ADN jacobin a persisté : Paris est le centre de tout, la République est toujours présente, et l’héritage politique de cette pensée s’est transmise notamment dans la gauche de la gauche, celle de Mélenchon.
Un autre mouvement marque les monarchies post-révolutionnaires : c’est le républicanisme, en clair les républicains. Ce sont avant tout des modérés, des progressistes proches des libéraux, ils représentent une grande majorité de la gauche. Les républicains ont toujours été une force à gauche : notamment dans les débuts de la IIIème République. Ainsi, les républicains se divisent, à travers l’histoire, en deux catégories : il y a en effet, les républicains libéraux et les républicains socialistes. Les républicains remplacent politiquement et non idéologiquement les jacobins. Ces derniers cesseront d’exister pendant un certain temps.
La gauche s’est également renforcée par le nombre d’intellectuels : Marx, Proudhon, Bakounine, Blanc, Michel, Hegel, Jaurès… Car tous ces grands penseurs ont fondé l’idéologie socialiste (l’anarchisme également), et par-delà, bâti la gauche d’aujourd’hui. Car quel est le parti de la gauche aujourd’hui ? C’est le parti socialiste, même s’il se meurt. Bien que le parti communiste fût devenu (dans les années 60) le premier parti de France, il convient de dire que la gauche moderne s’est présentée aux yeux des Français sous la forme d’un parti appelé socialiste.
Le libéralisme : un bain mortel.
La gauche n’existe plus, la droite s’est égarée : voilà le constat qui est dressé. Aujourd’hui, nous observons, avec effroi, que les deux partis majoritaires de ce pays se sont noyés, pendant 30 ans, dans une idéologie libérale portant le nom singulier d’Europe. Car il est dit que le Traité de Maastricht en 1992, encouragé par Mitterrand, était une porte beaucoup trop ouverte sur la mondialisation. Laissant naître un ultralibéralisme, consumant les souverainetés des pays et la puissance de l’Etat : la droite et la gauche ont offert la France au libéralisme. Mais avant de procéder à cette offrande honteuse, plusieurs plans de réformes, plusieurs décisions ont bâti le libéralisme ambiant.
Privatisation par privatisation, nouveaux impôts se succédant, la France vit avec une complexité puissante : elle est soit trop sociale, soit trop libérale, ce qui nous range dans une problématique économique immense. Que le gouvernement soit de gauche ou de droite, le résultat est le même : la montée des extrêmes. Ce bain mortel appelé libéralisme ne fait naître que des fruits malades, presque pourris. Le centrisme européen est devenu roi : centre droit, centre gauche se sont rejoints pour prier le Dieu européen. Mais là où la gauche a perdu la partie, c’est qu’elle s’est trahie sur des principes qui relèvent d’une pensée strictement démocratique. Souvenons-nous qu’en 2005, le NON l’emporté à 55%. Un NON massif qui a été pourtant effrontément gommé.
Croire que la France sortirait de la crise sans l’Europe ; croire que la France pourrait s’imposer dans le monde de demain sans l’Europe serait idiot, inconscient et non réfléchi. L’UE est une organisation qui doit être gardée mais modifiée. Il faut créer une assemblée européenne qui n’aurait pour seul but que de protéger les peuples de notre belle Europe. Car il est certain qu’aujourd’hui, et demain, le débat démocratique se fera entre un pro-européen et un eurosceptique.
Corentin Masson