Aide Médicale de l’État : pourquoi les sénateurs ont-ils voté sa suppression ?

Le Sénat a adopté en première lecture, avec modifications, le projet de loi sur l’immigration lors d’un vote solennel le 14 novembre 2023.

Au Sénat, lors de l’examen du projet de loi sur l’immigration, la droite et le centre viennent d’adopter la suppression de l’aide médicale d’État (AME), qu’ils veulent remplacer par une aide médicale d’urgence (AMU), plus restrictive, qui ne concernerait que quelques pathologies lourdes. Pourtant, l’aide médicale d’État existe en France depuis cent quarante ans (1893). Ce dispositif permet aux étrangers en situation irrégulière de bénéficier d’un accès aux soins, indépendamment de leur statut sur le territoire (sans être néanmoins applicable à Mayotte).

Trois arguments sont principalement avancés pour critiquer l’existence de l’AME. En premier lieu, certains estiment qu’elle constitue une incitation à l’immigration irrégulière car elle représenterait une aide substantielle et rassurerait les étrangers auxquels elle donnerait une sécurité qui les attirerait.

En outre, des sénateurs pensent qu’elle représente une charge financière importante pour l’État. Ils soutiennent que l’AME coûte cher et qu’elle est financée par les contribuables français, ce qui peut être perçu comme injuste par certains.

De plus, certains pensent que l’AME est mal utilisée et qu’elle est soumise à des abus. Ils affirment que des personnes profitent de ce dispositif sans réellement en avoir besoin, ce qui entraînerait un coût supplémentaire pour l’État.

Cependant, les défenseurs de l’AME mettent en avant qu’elle coûte seulement 1,2 milliard d’euros chaque année, ce qui représente une toute petite partie du budget de l’assurance maladie (moins de 0,5 %) et qu’elle est aussi financée par les étrangers.

L’accès à l’AME est d’ailleurs difficile. En effet, les centres pour se procurer une carte d’AME ne sont pas assez nombreux (par exemple, on n’en trouve que douze sur Paris et qu’un en Seine-Saint-Denis, un département où vivent beaucoup d’étrangers). Un rendez-vous pour obtenir une carte prend environ deux semaines, ce qui peut être trop long pour les patients. Les démarches administratives sont difficiles parce que le demandeur ne parle pas toujours correctement français, et n’a pas forcément les documents nécessaires pour s’inscrire. Après son attribution, le renouvellement de l’aide médicale de l’État doit être demandé chaque année. L’État lui-même ne simplifie pas ces démarches …

Par ailleurs, la lecture biaisée des chiffres par les élus de la chambre haute néglige les vertus économiques de ce dispositif. En effet, l’AME, en assurant un suivi médical adéquat pour tous, permet de prévenir ce qui coûte cher : les affections plus graves, ou la propagation de maladies infectieuses.

Enfin, les partisans de l’AME soulignent que, d’un point de vue moral, elle est un outil essentiel pour garantir le droit à la santé pour tous, indépendamment de leur statut administratif. Ils affirment que la santé est un droit fondamental et que l’accès aux soins ne devrait pas être conditionné à la situation administrative d’une personne.

Ces arguments des uns et des autres ont conduit à des discussions sur l’existence de l’AME. Des sénateurs ont proposé de restreindre ses critères d’éligibilité, voire de supprimer totalement cette aide. A contrario, des associations de défense des droits de l’homme et des professionnels de la santé soulignent l’importance de maintenir l’accès aux soins pour tous.

Du reste, les débats sur la suppression de l’AME continuent de diviser l’opinion publique. Certes, le Sénat a supprimé l’AME en revendiquant le soutien de la population. En effet, un sondage montre que 61% de la population trouve que remplacer l’AME serait une bonne idée alors que, pour 24% de celle-ci, c’est une mauvaise idée et 15 % demeurent sans opinion à ce sujet. Mais le même sondage indique que 59 % des Français se pensent mal informés au sujet de l’immigration, et seulement 32 % bien informés (9 % restent sans opinion).

En somme, bien que certains remettent en question la pertinence de l’aide médicale de l’État et son coût, d’autres soutiennent qu’elle est essentielle pour garantir le droit à la santé pour tous. Ainsi, lors du retour du texte à l’Assemblée nationale à partir du 11 décembre, des députés de la majorité et d’une partie de l’opposition voteront peut-être pour le maintien de l’AME.

Source : Libération ; Médiapart

Lucien Louet