Lors de l’interview de François Saltiel aux élèves de la classe média de Montaigne le 7 décembre 2020, le journaliste répond à une question sur les GAFAM en employant la notion de « philosophie libertarienne ». Ce concept est développé dans son dernier livre « Une société sans contact ». Mais que regroupe cette notion ?
Le libertarisme -aussi appelé libertarianisme- est une philosophie politique, développée dans les années 70, principalement aux États-Unis et dans quelques pays anglo-saxons. Selon les libertariens, une société juste est une société dont les institutions respectent et protègent la liberté de chaque individu d’exercer son plein droit de propriété. Ils entendent par propriété, la « possession » d’un bien meuble ou immeuble ou d’une production intellectuelle.
Ce schéma de société se rassemble autour de deux principes fondamentaux. Le premier est la liberté individuelle : les individus s’accomplissent en étant autonomes. Il n’existe donc pas de soutien de l’Etat. Le second principe est celui de la liberté économique qui correspond à la capacité qu’ont les membres d’une société de procéder entre eux à des échanges de nature économique : il s’agit donc pour un individu de trouver les meilleurs arrangements pour s’accomplir au sein de cette société. La société américaine affiche des traits communs à la philosophie libertarienne.
Murray Rothbard rappelle le principe de « non agression » qui est fondamental dans le concept libertarien : aucun individu, ni aucun groupe d’individus n’a le droit d’agresser autrui en portant atteinte à sa personne ou à sa propriété, en précisant que » agresser » signifie « introduire » une contrainte. C’est donc contraire à notre conception européenne qui encadre les marchés et les comportements. Par exemple, la consommation de drogues n’est pas régulée par les libertariens puisqu’il s’agit d’un libre arbitre individuel et que l’individu ne vient pas « agresser ses compatriotes». Ainsi il apparait que sous ce schéma de société, chaque individu est « propriétaire » de lui-même, c’est-à-dire qu’il est responsable de ses actes et en assume ses conséquences. Par exemple, si un individu choisit de ne pas étudier, il n’attend pas de l’état le versement d’une quelconque allocation compensatrice s’il n’a pas de travail.
Par conséquent, la seule « entraide » existante se trouve entre les citoyens avec le concept de « compromis », très courant dans la société libertarienne : une transaction est conclue parce chacun a un avantage à l’effectuer. Par exemple, la Procréation Médicalement Assistée a été facilement autorisée parce qu’elle offre un avantage réciproque : une partie accueille un enfant, l’autre reçoit de l’argent. A contrario, cette loi a été promulguée en France seulement récemment (juillet 2020).
Comme évoqué précédemment, les libertariens réduisent la majorité des services de l’Etat : ils sont antiétatiques, souhaitent lui retirer ses fonctions régaliennes voire le supprimer totalement. Ils pensent que l’individu n’a pas besoin de l’aide d’un Etat castrateur car chacun cherche à s’accomplir individuellement. Pourquoi donc conserver cette institution qui n’apporte pas tant de services, alors qu’elle contrôle en permanence la société, l’individu et ralentit son accomplissement ?
François Saltiel évoque l’adoption de ce principe libertarien par les GAFAM -ces cinq géants américains Google, Apple, Facebook, Amazon, et Microsoft – qui contrôlent leurs marchés de référence. Ils sont devenus omniprésents au sein de nos sociétés et sont même incontournables avec la crise sanitaire de la Covid 19 : François Saltiel dit qu’ « Amazon est apparu comme le sauveur , celui à qui la population doit de pouvoir continuer à se vêtir, se nourrir et se divertir », ou bien que Zoom et Microsoft team ont été les solutions techniques pour assurer un enseignement à distance.
Saltiel explique que les GAFAM souhaitent acquérir davantage de propriétés, par exemple avec le projet d’îles flottantes dans les eaux internationales de Peter Thiel pour s’affranchir d’une régulation étatique ou encore les programmes de conquêtes spatiales de Jeff Bezos et Elon Musk ; évidemment, chacun instaurera ses propres règles sur le nouveau territoire conquis…
Pour l’heure, à chaque fois qu’un GAFAM cherche à se procurer davantage de propriétés, l’Etat est présent pour lui « mettre des bâtons dans les roues » en cherchant à le contrôler et lui imposer son autorisation. Les GAFAM restent encore les jouets de l’Etat et acceptent de lui communiquer les données qu’ils collectent savamment. En effet, en 2013, Edouard Snowden a démontré la surveillance de l’état américain par l’intermédiaire des données des GAFAM. Ce contrôle de la vie de la propriété des individus est pourtant contraire au principe cher libertarien des GAFAM.
Valentin Brogi, Sahel Benbrahem.