Le Premier ministre éthiopien, Abiy Ahmed, prix Nobel de la Paix en 2019, a lancé le 4 novembre dernier, une offensive de l’armée dans la région située au nord du pays: le Tigré. Cette opération s’effectue dans la violence et la rétention d’information. Selon Amnesty International, au moins un crime de masse aurait été commis, le 9 novembre, et des milliers d’Éthiopiens ont déjà fui la zone de guerre. Depuis cette date, l’armée éthiopienne est donc en guerre contre le Front de libération du peuple du Tigré (TPLF), parti qui dirige la région et qui a contrôlé pendant 30 ans le système politique et sécuritaire de l’Ethiopie. L’objectif de cette opération militaire était de faire revenir la région dissidente du Tigré dans l’Etat fédéral que constitue aujourd’hui l’Ethiopie. Mais les forces du Tigré ont aussi bombardé la capitale de l’Erythrée, état voisin et ennemi juré du TPLF, ce qui pourrait provoquer une extension dangereuse du conflit dans cette zone de l’Afrique.

Ces 2 pays, Ethiopie et Erythrée se sont violemment affrontés entre 1998 et 2000, au moment où le TPLF avait le pouvoir en Ethiopie. C’est Abiy Ahmed, en devenant premier ministre en 2018, qui a rétablit la paix entre les 2 ennemis, ce qui lui a valu le prix Nobel en 2019. Il a écarté le TPLF du pouvoir ce qui a provoqué des tensions qui n’ont pas cessé jusqu’à l’intervention militaire du 4 novembre au Tigré.
Pour essayer de comprendre ce conflit, l’historien Eloi Ficquet explique dans une émission diffusée sur France Culture, que les tensions ne datent pas d’aujourd’hui mais du XVIIe siècle avec des oppositions historiques entre les principaux groupes ethniques et leur répartition sur les différents territoires de ce pays qui compte actuellement 110 millions d’habitants. Le conflit qui aurait fait des centaines de morts depuis début novembre, entre la capitale de l’Ethiopie, Addis-Abeba, et cette région dissidente au nord de l’Éthiopie, témoigne des tensions entre les ethnies pour prendre le pouvoir.
Le Tigré abrite essentiellement des Tigréens, 6% de la population éthiopienne, qui compte trente millions d’Oromos et autant d’Amharas. Les Amharas, les Oromos et les Tigréens depuis le XVIIe siècle s’affrontent pour la conquête et l’administration des territoires. Le projet politique des Amharas depuis le XVème siècle, est basé sur l’armée, l’église et le royaume, alors que celui des Tigréens est essentiellement communautaire et celui des Oromos se rapproche le plus de nos démocraties occidentales. Les Oromos et les Tigréens ont longtemps été « marginalisés » par la culture amhara. Les Tigréens sont des chrétiens orthodoxes installés au nord du pays, avec une langue proche de celle des Amharas. Ces deux populations qui s’affrontent aujourd’hui, pour de très anciens différends territoriaux, partagent pourtant la même religion et forment ce qu’elles appellent la culture abyssine. Abiy Ahmed, issu des Oromos et au pouvoir depuis 2018, est accusé par les Tigréens de les avoir totalement écartés de la direction du pays.
L’opération militaire menée par le premier ministre dans la région du Tigré contrôlée par le Front de libération des peuples du Tigré (TPLF) risque de déstabiliser le deuxième pays le plus peuplé d’Afrique, après le Nigéria. Le HCR, Haut-Commissariat des Nations unies pour les Réfugiés, évoque une crise humanitaire à grande échelle avec l’exode des populations vers le Soudan. Amnesty International dénonce des massacres de civils depuis le début du conflit, et l’ONU a demandé une enquête sur de possibles crimes de guerre. Mais la vérification des informations de manière indépendante est très difficile car les journalistes ne peuvent se rendre dans la région. Plus de 50 000 Tigréens fuyant les combats se sont réfugiés au Soudan.
La zone du Tigré, située à 700 kilomètres au nord de la capitale, Addis-Abeba, peuplée de 6 millions d’habitants, est coupée du monde, et il est difficile d’avoir des informations fiables. Le gouvernement éthiopien a déclaré ouvrir la voie aux ONG, mais l’accès reste très compliqué pour les organisations humanitaires, qui dénombrent des centaines de morts et des milliers de réfugiés. Impossible pourtant de mesurer l’ampleur du désastre humain, toutes les routes et communications ont été coupées. Les réfugiés tigréens évoquent des persécutions et des scènes de massacre, et confirment la présence de l’armée érythréenne pour soutenir l’action de l’Ethiopie.
La communauté internationale craint que le conflit s’envenime et déstabilise toute cette région de l’Afrique.
Sources :
France Culture, les enjeux internationaux, 9 décembre 2020 : la guerre en Ethiopie est-elle vraiment finie ?
Le Monde, 13/12/2020 : guerre en Ethiopie : ou en est le conflit dans la région du Tigré ?
Courrier international, 1/12/2020 : En Éthiopie, après la guerre, le spectre de la guérilla
Mathilde HEMERY