La Classe Média inaugure une nouvelle rubrique : le billet d’humeur. Des événements, des prises de positions politiques, économiques, des choix institutionnels peuvent susciter chez nos journalistes, habitués à rendre compte de l’actualité quelle qu’elle soit, des réflexions, des réactions qu’ils livreront dans cette rubrique. Elle témoigne d’une mise à distance par rapport au flot d’informations qui nous submerge quotidiennement et elle permet l’expression d’un point de vue libéré de l’exigence d’immédiateté qu’impose la transmission d’une actualité brûlante. Nous commencerons par un premier article sur le droit de grâce présidentielle.
Le droit de grâce
Le président de la République possède un droit. Ce droit, s’il décide de l’exercer, permet d’abandonner les charges portées sur un accusé. Il permet de réduire considérablement le temps de prison d’un individu, voir même de le supprimer complètement. Le Président de la République possède de cette manière le dernier mot, il peut ne rien dire comme alléger les peines d’une personne jugée coupable, s’il trouve cela plus juste. Ce droit est le droit de grâce.
Le droit de grâce a-t-il la même utilité aujourd’hui qu’à l’époque des rois ?
Il existe depuis bien des décennies. Celui-ci était déjà utilisé au temps des rois de France. Ceux-ci l’employaient à l’époque pour gracier un condamné à mort, empêchant ainsi son exécution. De nos jours, en France, la peine de mort n’existe plus, c’est pourquoi le Président de la République, s’il l’exerce, peut simplement réduire ou supprimer le temps de prison d’un accusé. Ce droit attribue donc un pouvoir au Président de la République, mais un pouvoir cependant moins important qu’à l’époque des rois, qui avaient la capacité de décider si une personne allait continuer de vivre, ou mourir.
L’exécution de ce droit comme son non-exécution a d’ailleurs entraîné diverses polémiques, comme par exemple le cas de la récente affaire de Mme Sauvage. Le 10 décembre 2012, cette femme a assassiné son mari Norbert Marot par trois coups de fusil dans son dos, pendant son sommeil. Ce dernier la battait quotidiennement et s’en prenait sexuellement à leurs enfants. Le Président de la République, François Hollande, a par la suite décidé de lui accorder le droit de grâce total, en raison du désespoir de cette femme, et de ses conditions de vie. Mme Sauvage a de la sorte été libérée et a donc pu sortir de prison plusieurs années plus tôt que prévu. Ce choix a néanmoins été quelque peu problématique car il laissait entendre que toutes les femmes maltraitées par leurs conjoints pourraient s’autoriser à les tuer. Cette décision pouvait être mal interprétée, c’est pourquoi une question demeure alors : fallait-il ou non gracier Jacqueline Sauvage ? Personnellement, je pense qu’elle méritait qu’on lui raccourcisse son temps de prison, sans qu’on le supprime totalement. Je comprends ses raisons d’avoir agi de cette manière, mais malgré tout, l’acte qu’elle a commis reste un meurtre, c’est pourquoi je pense qu’il aurait été préférable de raccourcir son temps de prison, mais pas de le supprimer intégralement.
Le droit de grâce, un droit qui a donc plus ou moins la même utilité que dans le temps. Il permet dans les deux cas d’abréger les peines attribuées à un individu dans le but de rendre la justice. Mais dans un cas il s’agit de la peine de mort, tandis que dans l’autre il ne s’agit que de prison. L’intérêt du droit de grâce a donc évolué avec la société.
Qu’en sera-t-il dans plusieurs années, le droit de grâce sera-t-il toujours d’actualité ?
Source photo : lefigaro.fr
Hugo MUNUGLIA-RAYNAL.
Un autre point de vue:
Le droit de grâce
L’affaire de Jacqueline Sauvage soulève de nombreuses interrogations sur le droit de grâce. En effet, notre système politique inclut plusieurs pouvoirs au corps exécutif, parmi eux, le droit de gracier un individu. Le droit de grâce a pour but d’arrêter ou de faire éviter la prison à un homme ou une femme. Il n’est soumis à aucun quota, à aucune règle. Alors une question doit être posée : le droit de grâce doit-il être conservé ?
Afin de répondre à cette question, il conviendra d’aborder deux points. Tout d’abord, nous expliquerons en quoi la grâce est un héritage de l’Ancien Régime. Puis, nous montrerons que ce droit affecte l’équilibre des pouvoirs.
Le droit de grâce est un immense pouvoir, un pouvoir quasi divin. Il est de mon point de vue un vestige du passé. C’est sous l’Ancien Régime qu’il est apparu. En effet, le souverain a sur ces sujets un pouvoir de vie ou de mort. Les rois peuvent, tout comme les empereurs romains, empêcher une exécution ; le monarque se met alors au niveau de Dieu. Cet acte est resté tout au long de notre Histoire à travers les différentes constitutions un privilège attribué à nos dirigeants.
Gardons à l’esprit que le président est le gardien de notre constitution, mais ses pouvoirs restent exceptionnels. Il en possède un considérable qui se substitue au pouvoir judiciaire: le droit de grâce. C’est sous nos anciennes républiques que le droit de faire grâce était un atout politique pour le chef de l’Etat. C’est un pouvoir divin donné à un républicain. Mais ce pouvoir n’a de sens que si la peine de mort existe ; dès qu’elle n’est plus, l’utilité du droit de la grâce disparaît.
En 1981, le candidat socialiste, François Mitterrand, est élu président de la République. Il promet une chose : abolir la peine de mort. C’est Robert Badinter, le nouveau garde des sceaux, qui concrétise cette proposition par le vote de l’Assemblée. Dès lors, la guillotine est rangée dans les cartons de l’histoire. A partir de ce moment-là, la valeur première du droit de grâce est devenue obsolète. La grâce présidentielle est donc pour moi un héritage monarchique. De plus, son existence est d’un autre temps, puisque la peine de mort est abolie. Par ailleurs, il y a un autre point qui justifie la disparition de ce privilège présidentielle. C’est qu’il remet en cause la séparation des pouvoirs chère à Montesquieu. Toutes les démocraties, à commencer par la monarchie anglaise, s’inscrivent dans cette logique. Cette séparation met en scène 3 corps : l’exécutif, le législatif et le judiciaire. Or, notre système politique n’admet pas totalement cette idée.
L’affaire Sauvage montre une confusion des pouvoirs ; le pouvoir exécutif intervient dans le pouvoir judiciaire par le biais du droit de grâce. Nous en déduisons que le pouvoir du président ne respecte point la neutralité de la justice, et pis encore elle l’entrave. Le droit de faire grâce ne s’inscrit donc pas dans l’idée d’une démocratie moderne. Il est alors un facteur de déséquilibre du pouvoir.
Nous en tirons une pensée précise : le droit de grâce est un héritage monarchique qui entrave la séparation des pouvoirs et par-dessus la démocratie elle-même. Pour moi, la grâce aurait du être abolie au même instant que la peine de mort.
Corentin Masson