L’ubérisation de l’économie un phénomène inéluctable ?
Uber, Foodorama… ces nouvelles entreprises du web créent des emplois mais des emplois précaires et au rabais. Le développement de l’ « ubérisation de l’économie rime avec précarisation à double titre : précarisation du statut du travailleur et précarisation de l’emploi en général.
Uber, foodorama, Airbnb, Drivy…comment fonctionnent ces nouvelles entreprises du web ?
Ce sont des entreprises qui fonctionnent grâce à la généralisation des smartphones, de l’internet à haut débit et de la géolocalisation; cela leur a permis de se développer en créant des plateformes en ligne et des applications mobiles qui permettent à des clients de trouver, à tout moment, des personnes qui proposent le service qu’elles recherchent (une voiture avec chauffeur, un objet, une chambre…). Pour chaque transaction effectuée, l’entreprise se rémunère en prélevant une commission et elle rémunère celui qui a effectué la prestation en lui versant une commission.
Quels emplois créent-elles ?
Principalement des emplois peu qualifiés
Actuellement, en nombre, essentiellement des emplois de chauffeurs, livreurs, peu qualifiés, et des emplois qualifiés, mais en bien moins grand nombre, notamment les métiers impliqués dans la création de plate-forme, et en rapport avec l’utilisation des nouvelles technologies. Ce type d’emploi – peu qualifié -représenterait selon Uber et legalstart.fr 11 % de la création d’emploi dont 78 % créés en Ile de France. Ce sont des emplois qui sont occupés principalement par des jeunes -moins de trente ans- qui étaient jusqu’à présent au chômage, ou de jeunes étudiants.
Des emplois précaires
Ces emplois, outre le fait qu’ils demandent peu de qualifications, sont en fait des emplois précaires.
En effet, pour exercer ce type d’emploi, il faut s’inscrire comme auto-entrepreneur et il faut disposer pour les chauffeurs ou les livreurs de son propre véhicule, et s’assurer. La rémunération s’effectue à la tâche, c’est-à-dire à chaque prestation effectuée, sous forme de commission dont le montant est peu élevé. Ces personnes ne sont donc pas salariées et ne bénéficient donc d’aucune des protections qu’apporte le salariat ni du cadre protecteur organisé par le code du travail : protection en cas d’accident ou de maladie, congés payés, rémunération minimale, revenus stables…
Des emplois peu rémunérateurs
C’est sans compter également qu’il faut être disponible à tout moment et effectuer beaucoup d’heures si l’on veut percevoir une véritable rémunération et non un revenu d’appoint. Ainsi il n’est pas rare que certains chauffeurs effectuent 60 heures de travail par semaine contre 35 heures dans les entreprises qui emploient des salariés. Si l’on prend également le cas de la plateforme Amazon Mechanical Turk qui propose une mise en relation mondialisée de webdesigners, de traducteurs, ou de téléconseillers en les rémunérant 1 dollar de l’heure pour leur prestation, on réalise que les emplois ainsi crées ne rémunèrent pas à leur juste valeur les services fournis. Il s’agit donc bien d’emplois précaires car ne permettant pas d’en vivre ou alors en faisant énormément d’heures.
On peut donc se demander si ce type d’emploi est le prix à payer pour une certaine « liberté » ou tout simplement une nouvelle forme d’exploitation ?
Mais il y a plus inquiétant car cette économie risque de détruire bon nombre d’emplois et en tous les cas bien plus qu’elle n’en créée.
Des emplois créés mais parallèlement des emplois détruits
En effet, pour reprendre l’exemple des chauffeurs de Uber, ils viennent directement concurrencer les chauffeurs de taxis qui ont payé très cher leur licence pour avoir le droit d’exercer et pour laquelle ils doivent s’endetter et rembourser chaque mois. De ce fait, ils ne peuvent baisser leur tarif pour s’aligner sur ceux d’Uber qui sont nettement inférieurs et bon nombre perdent ainsi leur travail.
Il en est de même dans d’autres secteurs comme celui de la livraison. Mais pas seulement ; des emplois vont être détruits dans la banque avec les nouvelles banques en ligne ou dans la création publicitaire qui fait de plus en plus appel aux personnes travaillant en free-lance via des plateformes. Les notaires commencent aussi à s’inquiéter de la plate-forme numérique Testamento et les avocats de celle de Justice.com. De même Accor et Fram s’inquiètent de l’essor d’Airbnb.
On assiste ainsi à un véritable phénomène d’ « ubérisation » de la société avec la généralisation de ces plateformes et de ce qui l’accompagnent à savoir l’algorithmisation (utilisation des data bases) de l’économie et ce qui va s’en suivre à savoir la robotisation et le développement de l’intelligence artificielle.
Selon Bruno Teboul, directeur de l’innovation et de la recherche et du développement du groupe Keyrus et auteur de « Ubérisation = économie déchirée », d’ici 2035, 3,5 millions d’emplois seront détruits.
Plusieurs études, notamment pour la France, celle du cabinet Roland Berger indique que d’ici 10 ans, 42 à 47 % des emplois ne seront plus effectués par des humains mais par des « robots ». Que seront alors les emplois créés par Uber avec l’arrivée d’ici une dizaine d’années de la voiture sans chauffeur…
Certes de nouveaux emplois seront créés mais qui profiteront à une petite quantité de salariés très qualifiés à savoir des profils scientifiques et technologiques. Se posera alors la question de savoir comment rémunérer les employés dont les postes auront été automatisés ? C’est pourquoi certains ont avancé l’idée d’un revenu de subsistance universel qui serait une allocation de base versée sans contrepartie à chaque citoyen.
Des emplois précaires, voire pas d’emploi ! Est-ce un phénomène inéluctable ? Oui si le consommateur continue de vouloir tout, à tout moment et en tout lieu. Peut-être que finalement chacun « scie la branche sur laquelle il se trouve » mais peut-être est-il encore temps de remettre en cause nos modes de consommation.
Laurent Magnin & Pauline Griton
Sources : capital.fr, figaro.fr, dessine-moi l’éco, lexpansion.fr, le monde.fr, Atlantico.fr, Le Parisien.fr,